La nouvelle série de peintures de Katrin Plavčak tourne entièrement autour des hommes. Un large éventail allant d’hommes portant le voile à un Klingon, en passant par un chevalier servant nostalgique, jusqu’à la Société psychologique du Mercredi – ce cercle légendaire réunissant des psychanalystes dans le cabinet de Sigmund Freud à Vienne.
Dans les peintures de l’artiste, l’héritage de la psychanalyse semble se perpétuer sous des formes les plus diverses. Katrin Plavčak recontextualise le double portrait peint par Alice Neel en 1970, en installant les modèles de cette toile, David Bourdon et Gregory Battcock, ainsi que le célèbre fauteuil à rayures, dans son propre atelier berlinois. Tous deux se demandent où peut bien se cacher la peintre dans ce nouveau cadre (I wonder where she is…, 2016). Derrière eux, à travers l’une des fenêtres de l’atelier de Plavčak, apparaît Alice Neel, une expression interrogatrice sur le visage : elle observe à la fois la scène, les visiteurs et l’artiste elle-même dans son geste d’appropriation. Une lecture tout aussi complexe que l’enchevêtrement des relations hommes/femmes de I wonder where she is…, qui, à y regarder de plus près, fait penser au « méta-tableau » de Velázquez, Les Ménines. D’autres références se révèlent peu à peu : punaisée au mur, une photo de journal rare sur laquelle Paul Gauguin joue de l’harmonium sans pantalon ; à côté, un reptile en tissu noir et blanc aux motifs exotiques ; et sur les étagères de l’atelier, les catalogues des peintres préférés de l’artiste – entre autres Maria Lassnig, Mernet Larsen, Philip Guston.
Pour le côté « psychanalytique », on pourrait également signaler de nombreuses peintures aux dispositifs burlesques, dans lesquels des hommes tiennent le rôle principal, tragi-comique : un pénis surdimensionné sort de la bedaine d’un Monsieur-tout-le-monde sidéré et veut lui sauter au visage (Das Phantom von Tom [Le Fantôme de Tom], 2016), une tête d’œuf hypochondriaque est à deux doigts d’éclater (Humpty Dumpty im Aida [Humpty Dumpty chez Aïda], 2016), un homme-CoBrA furieux, saignant du nez en pleine course (Nasenbluten [Saignement de nez], 2016), trébuche et tombe en chute libre, alors que son homologue, en retard, fonce à son rendez-vous sur des jambes de caoutchouc comme dans un dessin animé, un énorme bouquet de fleurs devant la poitrine (Kavalier [Chevalier], 2016). Partout, des corps déformés.
Des peintures qui s’apparentent de prime abord à celles de « patients » souhaitant extérioriser leur subconscient par le biais de l’art-thérapie. Mais si Katrin Plavčak fait délibérément référence au langage pictural de l’art brut, elle ne perd pas de vue pour autant l’histoire de l’appropriation de l’expression plastique des malades mentaux (Die Bildnerei der Geisteskranken [Expressions de la Folie], Hans Prinzhorn, 1922), qui s’étend en gros de Paul Klee à Jean-Michel Basquiat. Les autres influences qui ressortent des peintures de Plavčak sont à chercher du côté des univers de la caricature, de la bande dessinée et du dessin humoristique, ainsi que de la masse infinie d’images dans les journaux et sur Internet. On retrouve parfois sur une même toile les différents styles de peinture – photo-réaliste, gestuelle expressionniste ou rappelant le dessin animé. Le portrait du lanceur d’alerte Edward Snowden (Edward Snowden, 2013) est ainsi caractéristique du travail de Plavčak – un mélange hybride de dessin politique, d’allusion au cubisme et de transfert d’images médiatiques.
L’hétérogénéité des styles picturaux présentés dans cette exposition reflète donc la démarche de Plavčak : s’approcher peu à peu, en couches concentriques, du sujet « Homme ». Avec son « regard féminin », Katrin Plavčak s’inscrit (aux côtés de Lee Lozano, Maria Lassnig, Sue Williams ou encore Nicole Eisenman) dans une lignée féministe qui s’empare de modèles à connotation masculine pour les transformer et par là même les critiquer.
Marcus Weber